Modigliani se sent mal parmi ses contemporains. Il a du mal à s’insérer parmi les cubistes, les fauves et les expressionnistes. Il ne fréquente donc peu les ateliers des autres artistes de Montmartre. Habitant tous sur le même flanc de la colline, ils ont cependant de nombreuses occasions de se croiser mais c’est plutôt au Lapin Agile que les rencontres animées se déroulaient. Ce serait dans ce cabaret qu’il rencontra la première fois Pablo Picasso qui était comme lui un habitué du lieu. Modigliani connaissait déjà un peu son œuvre, l’ayant vue à plusieurs reprises à la galerie Sagot.
Le Lapin Agile en 1911
S’appréciaient-ils ? Peut-être, mais probablement de loin. Selon Carco, dans Mes amis peintres, Picasso n’aimait pas Modigliani. Par contre Fernande Olivier, dans ses Souvenirs intimes, écrit A Montmartre où vivait Modi, avant sa « vie maudite » à Montparnasse, nous le voyions assez souvent et l’aimions au contraire beaucoup’.[1]
Louis Latourette, poète et amateur d’art, s’extasiant devant un Nu dans l’atelier de Modigliani, s’entend dire par l’artiste : Ce n’est pas ça ! C’est encore du Picasso mais raté… Picasso enverrait un coup de pied dans cette monstruosité. Quelques jours après il revoit Dedo qui lui annonce avoir à peu près tout détruit de ce que le poète avait vu. Il faut savoir se juger sans indulgence sentimentale… Je n’ai gardé que 2 ou 3 dessins… Et aussi le torse qui t’a plu […] Du reste, j’ai bien envie d’envoyer promener la peinture de de me mettre à la sculpture.[2] Cette idée le hantera longtemps.
Au 7 de la rue Delta, Modigliani se sent en sécurité. L’atmosphère y est plus que chaleureuse. Le Dr. Alexandre est un fervent partisan du haschich pris avec modération, l’alcool coule à flot et y étaient invitées de nombreuse soubrettes, serveuses, modèles et autres maîtresses du moment. Les soirées y étaient très certainement bien plus bruyantes que ne le retiennent les souvenirs du Docteur. Les habitants de ce genre de phalanstère échangeaient idées, expériences et organisaient même des soirées théâtrales.
Le Docteur, devenu son ami Paul, insiste pour qu’il participe au Salon des Indépendants en 1908. Il y présentera 5 tableaux dont la Juive, 2 nus, une étude de nu et un dessin. [3]
3 des tableaux présentés au Salon des Indépendants, 1908
Concernant la figure 1, on lui a très souvent donné le titre erroné de Nu au chapeau, mais en fait sur notre photo nous remarquons bien la chevelure noire qui a tendance à se confondre avec l’arrière- plan sombre de cette partie du tableau. L’œuvre centrale se rapproche très fort des tendances expressionnistes allemandes de l’époque. La Petite Jeanne (figure 3) avait déjà été un modèle pour Picasso en 1905 ( jeune fille à la corbeille de fleurs, Zervos I, #256). Modigliani la rencontra chez le Dr. Alexandre où elle allait pour faire soigner une maladie vénérienne.
En 1909, il commanda à l’Artiste non seulement son portrait mais aussi ceux de son frère Jean et de son père.[4]
3 des portraits commandés par Paul Alexandre
[1] F. Olivier, Souvenirs intimes écrits pour Picasso, Paris 1988, p. 227
[2] A. Pfannstiel Etude critique et catalogue raisonné, La Bibliothèque des Arts, 1956, p. 11-12
[3] Figure 1 : C. 007 – Buste de femme nue, 80.6 x 50.1 cm.
Figure 2 : C. 008 – Etude de nu, 81 x 54 cm.
Figure 3 : C. 010 – Buste de jeune fille (La petite Jeanne) 61 x 38 cm
[4] Figure 4 : C.012 – Portrait de Jean-Baptiste Alexandre, huile sur toile, 92 x 73 cm., 1909
Figure 5 : C.015 – Portrait de Paul Alexandre sur fond vert, huile sur toile, 100 x 81 cm., 1909
Figure 6 : C.016 – Portrait de Jean Alexandre, huile sur toile 81 x 60 cm. 1909