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Vente chez Sotheby’s, Paris, le 5 décembre 2013

Voici une vente qui s’annonce intéressante, le Portrait de Roger Dutilleul, 1919  ( C.274). Estimé entre 7M et 10M d’euros je suis curieux de voir à quel prix il sera adjugé car d’une part, l’engouement pour l’oeuvre de Modigliani est très important mais nous remarquons que ce sont principalement les portraits de femmes qui ont la meilleure cote. D’autre part, ce tableau est resté invendu chez Christie’s (NY) le 4 mai 2004 avec une estimation entre 5 et 7 millions d’euros.

Le plus important collectionneur de Modigliani à l'époque

Le plus important collectionneur de Modigliani à l’époque

 

Pfannstiel (Pl 357)le date en 1920 tandis que Ceroni ( C.274) et Parisot (Pt 43/1918 vol.2) en 1918 et  Lanthemann (L 357) ainsi que Restellini en 1919.

Le sujet est important ! Roger Dutilleul était un grand collectionneur de l’Artiste et de bien d’autres d’ailleurs.

Le dossier de Sotheby’s a été réalisé par Marianne Le Morvan. Il est tellement bien écrit que je vous en livre de larges extraits.

‘… Roger Dutilleul fut un collectionneur passionné de Modigliani. Ses achats commencèrent début 1918 par une toile Tête de Jeune fille achetée chez l’encadreur marchand Constantin Lepoutre. Il réussira principalement entre 1918 et 1925 à réuni34 tableaux et 21 dessins de Modigliani, soit environ 10% de la production entière de l’artiste. A la fin du printemps 1919, Zborowsky n’ayant plus d’œuvres de Modigliani à vendre à Dutilleul, lui conseilla d’accepter de poser pour le peintre…

… Pour l’exécution de son portrait, qualifié de ‘chef d’œuvre’ par Léonce Rosenberg dans une lettre à Roger Dutilleul datée de décembre 1943, l’amateur dut poser durant 7 heures et demi réparties sur 3 séances du 16 au 18 juin 1919 dans son appartement de Monceau…  D’abord désemparé par la qualité des toiles de Picasso et de Braque qu’il découvrit lors de sa première visite chez le collectionneur Modigliani s’exclama désemparé  ‘Quel génie’ à propos de Picasso : ‘J’ai dix ans de retard sur lui’. Dutilleul eut grand mal à le réconforter. Le peintre demanda alors qu’une nature morte de Picasso  (Poissons et bouteilles, 1909) soit présentée à sa vue pendant l’exécution du  portrait. La gamme chromatique du Portrait de Roger Dutilleul reprend exactement celle de la toile cubiste du Maître catalan…

…Ce portrait est donc  peint sous les influences conjuguées de Picasso et sans aucun doute, de Cézanne, que Modigliani avait découvert dès son arrivée à Paris en 1906… La posture du collectionneur assis de face les jambes croisées, rappelle celle de plusieurs portraits de personnages assis  peints par le maître d’Aix… L’inachèvement de certaines parties du tableau (dos du siège, mains du modèle) est également un emprunt à Cézanne…. C’est surtout le soin apporté à l’exécution du visage du modèle, à l’inverse du fond peint en touches longues et rapides qui évoque les portraits de Cézanne. La carnation pâle et délicate amplifie le contraste avec le noir de la redingote, dégageant les éléments les plus représentatifs du personnage – comme le visage et les mains – des aplats de l’arrière-plan. Quant au regard des portraits de Modigliani, c’est lui-même qui affirme avoir emprunté les yeux sans pupille aux portraits de Cézanne. Il confia un jour à son ami Soutine :’Les visages de Cézanne, à l’instar des belles sculptures antiques, sont dépourvus de regards. Les miens, par contre, en ont un. Les miens regardent toujours, même lorsque j’ai cru  devoir ne pas leur attribuer de pupille : pourtant, tout comme les visages de Cézanne, ils ne font qu’exprimer une muette approbation de ce qui vit’ (cité par Walter Schmalenbach, ‘Les Portraits’, in Modigliani, l’ange au visage grave, catalogue de l’exposition p. 35)

La figuration des yeux et du nez de Dutilleul rappelle également l’influence du primitivisme des arts africains. Tout comme Derain, Picasso et Vlaminck Modigliani découvrit les arts premiers au Musée d’Art ethnique du Trocadéro…

…Le style de ce tableau peut enfin être qualifié de ‘maniériste’, évoquant l’influence de l’art de la Renaissance italienne. Dès son enfance, Modigliani voyagea à travers l’Italie avec sa mère. . En 1902, il devint étudiant à Florence et l’année suivant Venise. Il visita également Sienne et Naples où il s’imprégna de la tradition classique. L’art de la peinture du XVIème siècle italien devint son influence principale. Ce tableau possède la simplicité et la pureté des œuvres du Quattrocento, marquées par des arabesques aux courbes fluides, des proportions amplifiées et l’extrême attention portée aux détails du visage. .. ‘

English version

‘Roger Dutilleul was a passionate collector of Modigliani . His acquisitions began in early 1918 with the canvas Tête de jeune fille , purchased from the framer and dealer Constantin Lepoutre. He succeeded, chiefly between 1918 and 1925, in assembling 34 paintings and 21 drawings by Modigliani, equivalent to around 10% of the artist’s entire output. By the end of spring 1919, the dealer Zborowsky had no more works by Modigliani to offer Dutilleul so he advised him to agree to pose for a portrait…

For the execution of his portrait, hailed a ‘masterpiece’ by Leonce Rosenberg in a letter to Roger Dutilleul in December 1943, the connoisseur had to pose for seven and a half hours spread over three sittings, from 16th to 18th June 1919, in his apartment on Rue Monceau, surrounded by his collection… At first unnerved by the sheer quality of the canvases by Picasso and Braque he discovered on his first visit to the collector. Modigliani exclaimed “Such genius!” regarding Picasso and lamented “I am ten years behind him”. Dutilleul took great pains to reassure him. The painter then requested that a still-life by Picasso (Poissons et bouteilles, 1909) be placed within v while he worked on the portrait. The color scheme of Portrait de Roger Dutilleul exactly replicates the Cubist work by the Catalan master….

… This portrait of Dutilleul was thus painted under the twin influences of Picasso and, without a doubt, Cézanne whom Modigliani had discovered upon his arrival in Paris in 1906… The posture of the collector, sitting face-on with legs crossed, recalls several portraits by the Master from Aix… The unfinished nature of certain parts of the painting (the back of the chair and the model’s hands) is also a debt to Cézanne… Above all it is the care taken in the execution of the figure’s face, in contrast with the background painted in long, rapid strokes, that evokes Cézanne. The delicate, pale complexion heightens the contrast with the black of the frockcoat, making the most characteristic aspects of the figure – such as the face and hands – stand out against the flat background. As for the gaze of Modigliani’s portraits, he himself admitted he borrowed eyes with no pupils from Cézanne’s portraits. He confided once to his friend Soutine : “Cézanne’s faces, like beautiful ancient statues, do not have a gaze. Mine, on the other hand, do. Mine are always looking even if I felt I should not give them pupil; however, like Cézanne’s faces, they only express a silent approval of all that they experience’ (quoted by Walter Schmalenbach, ‘Portraits’ in Modigliani L’ange au visage grave, exhibition catalogue p. 35).

The arrangement of Dutilleul’s eyes and nose also recall the influence of African art. Just like André Derain, Pablo Picasso and Maurice de Vlaminck, Modigliani had discovered tribal art at the Museum of Ethnic Art at Trocadero…

… The style of this painting can also be described as ‘mannerist’, evoking the influence of Italian Renaissance Art. . From his childhood, Modigliani had travelled across Italy with his mother. In 1902, he studied in Florence and the following year in Venice. He also visited Sienna and Naples where he immersed himself in the Classical tradition. 16th Century Italian painting became his prime influence? This painting possesses the simplicity and purity of works from the Quattrocento, marked by arabesques with fluid contours, elongated proportions and an extreme attention to facial details…”

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