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Une baronne au mauvais caractère!

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Le temps de la rue du Delta fut pour Modigliani une période riche en création et ses premiers chefs d’œuvres naissent. Paul Alexandre lui a commandé son portrait ainsi que celui de son père et de son frère Jean. Ce dernier avait pour maîtresse une très belle femme  au caractère trempé, la baronne Marguerite de Hasse de Villers.

Epris de celle-ci il lui suggère de commander à Dedo son portrait  en costume d’amazone – un véritable chef d’œuvre ! – qui n’est pas au goût du modèle et qui refuse le tableau.

Nous retrouvons dans la collection du Dr. Alexandre les dessins préparatoires de cette œuvre.

Dessins préparatoires au tableau l'Amazone

Dessins préparatoires au tableau l’Amazone

Le modèle pose dans une attitude hautaine, avec sa main gantée sur la hanche et son regard sournois toisant l’artiste. Ce portrait exceptionnel s’est avéré être l’un des plus difficiles que Modigliani aie dû peindre. Dès le début, la progression est lente avec un artiste toujours insatisfait qui menace à plusieurs reprises de détruire ce qu’il avait déjà terminé. Jean rapporte à son frère   » Le portrait semble long à venir, et je crains qu’il change de nouveau dix fois avant qu’il ne soit terminé  » (cité dans Meryle Secrest , Modigliani , A Life , New York , 2011, p. 124). Une des principales préoccupations du peintre était la veste du modèle. Modigliani, au dernier moment,  la retravaille et la repeint en jaune-ocre remplaçant ainsi le rouge flamboyant des tenues de l’époque. L’image résultante était si étonnamment avant-gardiste que la baronne n’a apparemment pas apprécié puisqu’elle refuse l’oeuvre. Paul Alexandre, visionnaire, a  instantanément vu le génie dans cette image et l’a acquis pour sa propre collection.

L'Amazone

L’amazone, h.s.t., 1909
92 x 65,6 cm. C.021

 

La stylisation du modèle et les traits anguleux viennent probablement des travaux qu’il a vus dans l’atelier de Picasso au Bateau Lavoir et son attrait personnel envers l’art africain mais aussi par la présence d’un autre artiste avec qui Modigliani partageait un atelier : le sculpteur Constantin Brancusi.

Une des caractéristiques remarquables de cette œuvre est le rendu du tempérament et les origines du modèle alors que Modigliani est loin de fréquenter ce milieu privilégié.

Dessins préparatoires au tableau l'Amazone

Dessins préparatoires au tableau l’Amazone

 

La petite histoire raconte que  Marguerite de Hasse de Villers était peu accomodante et très distante. Après plusieurs semaines de pose dans l’atelier ouvert de courants d’air, la toile a dû être terminée dans les appartements privés de Jean Alexandre. Ne voyant plus de progrès, elle a donné à Modigliani un ultimatum d’une semaine pour le terminer.

Jeffrey Meyers décrit dans sa biographie de l’artiste L’Amazone comme un « chef-d’œuvre»:  » Ses hautes pommettes étroites sont en relation avec  son menton délicat, ses larges épaules étroites en rapport avec  sa taille , la courbe de sa joue  faisant écho à la courbe entre son épaule et sa taille, et une forme de diamant noir ( en écho à la forme de son torse ) apparaît entre l’angle aigu de son bras gauche et son corps svelte »( Jeffrey Meyers , Modigliani , une vie, Orlando , 2006, p . 52 ) . L’image résultante est une interprétation glamour et provocante de la puissance sexuelle féminine.

The period of rue Delta is for Modigliani a rich one in creation and his first masterpieces are born. Paul Alexander ordered his portrait and also his father’s and brother’s ones. A that time Jean had as a lover a beautiful and elegant woman with a strong character, Baroness Marguerite de Hasse de Villers.

He suggests the lady to order to Dedo her portrait in amazon suit. She did and the painting is a true masterpiece! – but  is not to the taste of the model who refused it.

We find in the Dr. Alexander’s collection the preparatory drawings for this work.

Modigliani’s stylization of the Baroness can be most probably linked to the works he saw at Picasso’s studio at the Bateau Lavoir, as well as their mutual interest in African tribal art, but it is also indicative of the influence of another artistic colleague, who shared the studio with Modigliani : Constantin Brancusi.

One of the notable features of the present work is Modigliani’s approach to rendering the potent sensual appeal of a woman who was far removed from the artist’s own social realm.

The story says Marguerite de Hasse de Villers has a bad temper and keeps a distance from the artist. The young woman grew increasingly impatient after several weeks of posing in the draughty open studio space shared with Brancusi, so sessions were relocated to the more private environs of Jean’s apartment.  After more hours of work and with no end in sight, she threatened to quit and gave Modigliani an ultimatum of one week, forcing the artist to a conclusion.

Jeffrey Meyers describes L’Amazone as a « masterpiece » in his biography of the artist:  “Her high cheek bones narrow to her dainty chin as her wide shoulders narrow to her waist, the curve of her sunken cheek echoes the curve from her shoulder to her waist, and a dark diamond shape (echoing the shape of her torso) appears between the sharp angle of her left arm and her svelt body” (Jeffrey Meyers, Modigliani, A Life, Orlando, 2006, p. 52).  The resulting image is a glamorous and provocative interpretation of female sexual potency.

 

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Des doutes! Encore des doutes!

Modigliani se sent mal parmi ses contemporains.  Il a du mal à s’insérer parmi les cubistes, les fauves et les expressionnistes. Il ne fréquente donc peu  les ateliers des autres artistes de Montmartre. Habitant tous sur le même flanc de la colline, ils ont cependant de nombreuses occasions de se croiser mais c’est plutôt au Lapin Agile que les rencontres animées se déroulaient. Ce serait dans ce cabaret qu’il rencontra la première fois  Pablo Picasso qui était comme lui un habitué du lieu. Modigliani connaissait déjà un peu son œuvre, l’ayant vue à plusieurs reprises à la galerie Sagot.

Le Lapin Agile en 1911

Le Lapin Agile en 1911

S’appréciaient-ils ? Peut-être, mais probablement de loin. Selon Carco, dans Mes amis peintres, Picasso n’aimait pas Modigliani. Par contre Fernande Olivier, dans ses Souvenirs intimes, écrit A Montmartre où vivait Modi, avant sa « vie maudite » à Montparnasse, nous le voyions assez souvent et l’aimions au contraire beaucoup’.[1]

Louis Latourette, poète et amateur d’art, s’extasiant devant un Nu dans l’atelier de Modigliani, s’entend dire par l’artiste : Ce n’est pas ça ! C’est encore du Picasso mais raté… Picasso enverrait un coup de pied dans cette monstruosité. Quelques jours après il revoit Dedo qui lui annonce avoir à peu près tout détruit de ce que le poète avait vu. Il faut savoir se juger sans indulgence sentimentale… Je n’ai gardé que 2 ou 3 dessins… Et aussi le torse qui t’a plu […] Du reste, j’ai bien envie d’envoyer promener la peinture de de me mettre à la sculpture.[2]  Cette idée le hantera longtemps.

Au 7 de la rue Delta, Modigliani se sent en sécurité. L’atmosphère y est plus que chaleureuse. Le Dr. Alexandre est un fervent partisan du haschich pris avec modération, l’alcool coule à flot et y étaient invitées de nombreuse soubrettes, serveuses, modèles et autres maîtresses du moment. Les soirées y étaient très certainement bien plus bruyantes que ne le retiennent les souvenirs du Docteur. Les habitants de ce genre de phalanstère échangeaient idées, expériences et organisaient même des soirées théâtrales.

Le Docteur, devenu son ami Paul, insiste pour qu’il participe au Salon des Indépendants en 1908. Il y présentera 5 tableaux  dont la Juive, 2 nus, une étude de nu et un dessin. [3]

3 des tableaux présentés au Salon des Indépendants, 1908

3 des tableaux présentés au Salon des Indépendants, 1908

Concernant la figure 1, on lui a très souvent donné le titre erroné de Nu au chapeau, mais en fait sur notre photo nous remarquons bien la chevelure noire qui a tendance à se confondre avec l’arrière- plan sombre de cette partie du tableau. L’œuvre centrale se rapproche très fort des tendances expressionnistes  allemandes  de l’époque. La Petite Jeanne  (figure 3) avait déjà été un modèle pour Picasso en 1905 ( jeune fille à la corbeille de fleurs, Zervos I, #256). Modigliani la rencontra chez le Dr. Alexandre où elle allait pour  faire soigner  une maladie vénérienne.

En 1909, il commanda à l’Artiste non seulement son portrait mais aussi ceux de son frère Jean et de son père.[4]

3 des portraits commandés par Paul Alexandre

3 des portraits commandés par Paul Alexandre



 

[1] F. Olivier, Souvenirs intimes écrits pour Picasso, Paris 1988, p. 227

[2] A. Pfannstiel Etude critique et catalogue raisonné, La Bibliothèque des Arts, 1956, p. 11-12

[3] Figure 1 : C. 007 –  Buste de femme nue, 80.6 x 50.1 cm.

Figure 2 : C. 008 –  Etude de nu, 81 x 54 cm.

Figure 3 : C. 010 – Buste de jeune fille (La petite Jeanne) 61 x 38 cm

[4] Figure 4 : C.012 – Portrait de Jean-Baptiste Alexandre, huile sur toile, 92 x 73 cm., 1909

Figure 5 : C.015 –  Portrait de Paul Alexandre sur fond vert, huile sur toile, 100 x 81 cm., 1909

Figure 6 : C.016 –  Portrait de Jean Alexandre, huile sur toile 81 x 60 cm. 1909

 

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Une rencontre bien peu ordinaire

‘Modigliani tend la bouteille à son protégé :

–          Tu ne la laisseras pas tomber ?

–          Moi, la laisser tomber ?… Une bouteille ?…Penses-tu ?… Veux-tu que je te dise ? Je tomberais, moi, que je sauverais la bouteille !

[…] Sa bouteille bien serrée sous l’aisselle gauche, l’ivrogne momentanément dessoulé, marchait de biais en contemplant son bienfaiteur.  Au côté de Modigliani portant haut sa belle tête de prince oriental au service d’une république italienne, il apparaissait tel que l’a vu Roland Dorgelès, à la même époque : « il semblait disloqué, dans son costume noir ; les bras trop longs, la poitrine creuse. Son teint était blafard, son regard trouble, ses moustaches tombantes trop grosses pour ses joues. ».[1]

Place Blanche et la rue Lepic

Place Blanche et la rue Lepic

Selon l’auteur, ce serait dans un petit bougnat de la rue Lepic que Modigliani rencontra pour la première fois Maurice Utrillo. Celui qu’on surnommait Maumau était de nouveau complètement ivre et le tenancier, refusait de lui servir un nouveau verre de vin à quelques sous. L’artiste italien, dans sa démesure légendaire, intervient et achète au tavernier 2 litrons de piquette et invite le peintre montmartrois à le suivre jusqu’au square Saint-Pierre. Ils y menèrent un tel tapage que la police de la place de Dancourt dut intervenir et les enferma au poste, le temps de dégriser complètement.

Modigliani a un premier ami à Paris et ce, jusqu’à sa mort.

portrait d'Utrillo, 1919

portrait d’Utrillo, 1919

[1] La vie passionnée de Modigliani, André Salmon, Ed. Seghers, 1957, p.69

English version

A few ordinary meeting

‘ Modigliani gives the wine bottle to his protégé :

– You won’t drop it in the ground, won’t you?

– Me, dropping a bottle on the floor?…  A bottle ? … Let me tell you something, I would fall myself that I would save the bottle!

[…] With its bottle tight under the left armpit, the drunkard walked through contemplating his benefactor. Compared with Modigliani with his beautiful oriental prince head in the service of an Italian republic, he appeared as Roland Dorgelès described him at the same period :  » it seemed dislocated in his black suit , with too long arms and a hollow chest . His face was pale  with troubled eyes  and too big drooping mustaches » .

 According to the author, Modigliani met for the first time Maurice Utrillo in a small bougnat rue Lepic. Maumau, that is his nickname, was completely drunk once again and the tenant refused to serve him another glass of wine. The Italian artist, in his legendary excess, interfered, bought the innkeeper 2 quarts of cheap wine and invited the Montmartre painter to come with him to St. Peter square. They led such a fuss that the Dancourt police had to intervene and locked them up in jail, time to be sober again.

Modigliani had his first Parisian friend, and this until his death.

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